Archives pour la catégorie Rêve lucide

Entre les murs

Le passage entre les murs est plus qu’étroit. Clairement insuffisant pour un être humain. Et pourtant j’y circule, entre les murs et les cloisons de cette grande maison dont je devine sans vraiment les voir les pièces sombres aux meubles couverts de draps blancs.

Agréable, cette sensation de voir sans être visible, se sentir en sécurité. Pourtant, je ne sais pas trop ce que je cherche ici. Ni même si ce lieu a un quelconque intérêt.

Quelque chose d’important doit être caché. Quelque chose de si important qu’on ne peut que l’enfermer derrière un mur. Aussi je les parcoure tous. En vain. Je sais au fond de moi qu’il n’y a rien à trouver, et j’en éprouve une grande déception.

Ce que c’est de croire au mystère !

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Mourir de rire

Assis sur les marches de l’escalator sans fin, tout en cristal, dans le vide d’un ciel clair à perte de vue, je suis dos à A. qui est assis une marche plus haut.

Il me raconte son voyage à Bernique avec S. et C.

Comme toujours, sa manière de raconter ses périples est pleine de finesse et le regard lucide et cocasse qu’il porte sur les lieux et les gens sont à mourir de rire.

Mais justement, je ne dois pas rire. Mon médecin me l’a formellement déconseillé. Je pourrais mourir sinon.

Et c’est terrible de l’entendre, si enjoué, narrer les situations loufoques où ils se sont trouvés, à prendre des douches sous les bombes de Sarajevo, entouré de tuberculeux à Sanaâ, manger des plourds empoisonnés à Cubase.

Cela me coûte un effort monstrueux de ne pas laisser sortir ce rire profond qui veut tout emporter.

C’est alors que je vois monter vers nous le Joker, défiguré par la grimace qui maquille sa bouche. Il me fixe et articule péniblement que j’ai le choix entre rire et mourir ou ne pas rire et être déjà mort.

Je botte en touche et choisis de me réveiller.

La caravane et le placard

Je me réveille allongé, ou plutôt ligoté sur un dromadaire. Aussi loin que je vois, la caravane est composée d’une succession de gens comme moi, prisonniers d’on ne sait qui.

Pour contrer mon angoisse, je m’efforce de compter jusqu’à cinq. Un, douze, huit, neuf, cent trente-quatre. Je ris de soulagement en prenant conscience que je rêve, et parviens à retirer mes liens facilement, sans toutefois réussir à me raccrocher à l’animal, dont je tombe grotesquement.

Me relevant, je tombe nez-à-nez avec mon frère cadet, grimé en sorcier à barbe blanche. Il me sourit et je comprends que je viens de franchir la première étape, ce dont je suis ravi.

Immédiatement, je devine que je suis enfermé dans le placard à chaussures sous l’escalier dans la maison de V. Il y fait un noir d’encre et je cherche à tâtons une poignée ou un interrupteur. Puis je repense qu’il s’agit d’un rêve et j’ouvre la porte d’un coup de pied.

Cette fois, mes soeurs se tiennent là, souriantes elles aussi, me félicitant d’être brillamment sorti de cette épreuve. Je les interroge aussitôt : à quoi cela rime-t-il ?

La question doit être stupide car elles éclatent toutes les trois d’un fou rire communicatif.

Quelque chose à propos d’une clef m’accompagne une bonne partie de la matinée du lendemain, sans que je ne parvienne à la raccrocher au rêve.

La Grande Poëlle

L’homme au chapeau haut de forme tient des propos incohérents dans une langue que je ne connais pas. Sa barbe noire, taillée en pointe, lui mange le visage au point de ne plus laisser paraitre que son nez, qu’il a prohéminent et vert. C’est là que je me dis que quelque chose cloche.

Par réflexe, je regarde ma main et constate que j’ai six doigts. C’est un soulagement car je comprends que je suis dans un rêve. Et ce barbu légèrement inquiétant ne m’effraie plus du tout.

Je décide de partir et, levant le poing droit vers le ciel, je m’envole. Quelle sensation grisante ! Au-dessous, les toits des maisons rapetissent, je vois des champs qui à leur tour se réduisent à des taches de couleurs et, une fois atteinte la très haute altitude, il n’y a plus sous mes yeux qu’un tableau non-figuratif, qu’on eût pu croire exécuté par un peintre impressionniste.

Toujours plus haut, toujours plus vite, je suis propulsé dans le vide intersidéral où je choisis de me diriger vers la constellation de la Grande Poëlle.

Le premier coup de tonnerre au-dehors me réveille en sursaut. Zut ! Je ne saurai jamais si je serais parvenu à destination.

Le perroquet

Mon patron veut avoir raison. Il faut dire que ses arguments sont solides et qu’il en connait un rayon sur l’art de préparer des boulettes de papier. Je cherche à faire valoir deux ou trois techniques issues de ma pratique experte, puis cesse d’insister devant la manière catégorique qu’il a de revenir à ses propres techniques, érigées en modèle du genre. J’en tire un sentiment mélangé de colère – de n’avoir pas été entendu -, de dédain pour cette arrogance et de profonde absurdité car, au fond, je me fiche pas mal des boulettes de papier.

Cette mixture d’émotion cède la place à un profond malaise lorsque je constate que mon interlocuteur-chef n’est autre que mon père. Je voudrais partager son point de vue pour me rapprocher de lui, mais alors que je m’y emploie, la scène vacille ou plutôt tangue comme la proue d’un navire sur une mer agitée. L’explication de ce phénomène apparaît dans un flash angoissant lorsque je vois le bec orange qui trône à la place de mon nez. Je suis un perroquet, qui répète inlassablement ce que son père lui dit.

Perché sur ma balançoire, je vais et viens d’avant en arrière, encore et encore, et ce mouvement perpétuel et irrépressible me saoule comme un mal de mer. J’ai envie de vomir, de cracher ce profond dégoût de moi-même. Alors, les plumes de ma queue, puis de mes ailes, mes pattes crochues, tout mon corps sort par ma bouche, comme un gant qu’on ôte en le retournant. Enfin, mon bec se déroule et je me retrouve en face du perroquet que j’étais l’instant d’avant. Il est d’une beauté stupéfiante, mais également une source de grande déception. Ce n’est après tout qu’un perroquet commun. Je mesure la vanité qu’il y a à vouloir se mettre en valeur au mépris de soi-même, en répétant ce que l’on entend sans porter d’abord un regard critique sur les propos entendus et la situation qui les entoure.

La suite du rêve commence dans l’entrebâillement d’une porte qui communique entre un palier, sur lequel je me trouve, et une vaste pièce nue et mal éclairée par l’unique ampoule d’un plafonnier sans applique ni lustre.

Au fond de la pièce, une cheminée de marbre encadre un feu, ou plutôt une flamme faible et rougeoyante, qui diffuse pourtant une chaleur agréable. Des chuchotements bruissent des murs. Ce sont les échos lointains de toutes les conversations dont ce salon a été temoin. Malgré leur multitude, chacune me parvient distinctement. C’est comme se trouver dans la salle d’écoute des services secrets : je me sens détaché de ce que j’entends mais piqué tout de même d’une basse curiosité.

J’entends un grand fracas derrière moi et me sens projeté violemment dans la pièce. La porte après moi se referme en claquant. Ce qui n’était qu’un murmure se mue alors en un vacarme étourdissant. Les conversations se recouvrent et s’enrichissent d’esclandres, de cris et de menaces. Je  protège mes oreilles en posant mes mains dessus, mais les murs vibrent de plus en plus fort, comme le tambour de gigantesques haut-parleurs projettant des basses assourdissantes. Je crois devenir fou. Quoi ! Je voulais juste écouter, de loin, comme ça. Mais surtout pas être propulsé dans ce concert de vérités qui ne me regardent pas. Ma tête me fait mal. Atrocement.

Et je tombe en syncope.

Champagne !

La nuit tombe. Je suis encore perdu dans cette grande ville, avec ma fille que je dois accompagner à la gare. Encore cette gare. Nous longeons le métro aérien. Les lumières, c’est comme à la fête foraine : tout est sombre, sauf ça et là des tâches bleues, vertes, jaunes ou rouges. Bon sang ! Mais où est donc cette gare ?
Je prends par la rue Daguerre. Il me semble qu’on peut couper par là. Ma fille me suis gentiment. Elle n’a pas peur, même si j’accélère le pas. Le quartier est tranquille, trop même. Pas un commerce. Pas une entreprise. Résidentiel. Parisien. Moche.
Nous sommes perdus, mais hors de question de l’avouer. Pas question de recommencer la partie. Il fait trouver la station Les Halles coûte que coûte.
Nous débouchons soudain sur une esplanade bordée de gazon et plantée de bouleaux, au pieds desquels fleurit de l’oseille. Là ! Sur notre droite, l’entrée du métro !
C’est en déambulant dans ces couloirs à une heure d’affluence moyenne, dépassés par des gens plus pressés, ou moins perdus, que je prends conscience du vide de la ville où nous étions plus tôt : nulle voiture en mouvement, aucun être vivant, pas même le murmure habituel qui accompagne l’heure bleue dans les grandes villes.
Qu’importe, je dois trouver la ligne qui nous conduira gare d’Austerlitz. Nous errons de couloir en couloir jusqu’à parvenir à une plateforme au pied de larges escaliers. Des contrôleurs indiquent le chemin et nous voici, passé les tourniquets, sur un quai aveugle, où les voies sont séparées par un mur en carreaux de faïence blancs.
Même si je ne la vois pas, je sais que ma fille est présente à mes côtés, mais que je ne dois pas la regarder sous peine de la voir disparaitre.
Nous montons dans la rame et nous installons sur des strapontins de velours rouges, les même que ceux qu’on trouve dans les théâtres à l’italienne. Le voyage est morne et long, bien plus qu’il ne le devrait.
Il fait nuit quand enfin je me retrouve dehors. A l’angle d’une avenue perpendiculaire au métro aérien, je vois une Fiat 500 – le petit modèle d’origine – de couleur violet, à l’arrêt au milieu de la chaussée. Elle est secouée par moment et je reconnais des bribes de la chanson Loveshack des B52’s qui s’en échappe. A mon approche une porte s’ouvre et la lumière jaune vive qui sort du véhicule m’éblouis. Un type, sorti tout droit d’une BD de Serge Clerc – costume croisé bleu, pantalon à pinces et revers, chaussures noire et blanche – me convie à rejoindre la fête en cours dans la voiture. Je monte et y découvre celle que je reconnais être mon épouse, allongée confortablement dans un fauteuil de relaxation, me proposer de partager une coupe de champagne avec les deux autres joyeux hurluberlus déjà présents. J’éprouve alors un grand sentiment de tristesse et de jalousie, et choisis de sortir pour ne pas gâcher l’ambiance.
Seul, debout sur les pavés humides qui reflètent par intermittence le vert, l’orange et le rouge d’un feu tricolore, je respire lentement, profondément, pour me sentir moins seul.
Puis plus rien.

Adrien

Gare de Belfort

Je dois attraper ce train qui part dans une heure, rentrer de toute urgence à la capitale. L’angoisse du retard se mue peu à peu en peur alors que je me sens perdu, déambulant au hasard dans cette ville qui, au fond, ressemble plus au coeur historique de Lyon « by night », qu’à Belfort. Mais comment saurais-je à quoi ressemble Belfort, d’ailleurs, ni étant jamais allé ? C’est bien la preuve que je suis à Dijon !

Ça y est, la foule des personnes portant valises et sacs à dos converge au même point. Nous longeons un batiment de vieille gare de province, où les espaces se succèdent comme les peñas à Bayonne, chacune avec ses vieux en bleu de travail, clope au bec, qui nous toisent d’un oeil mauvais, ou simplement éteint. Forcément ! Ils restent ici, eux, tandis que nous, nous partons à l’aventure.

Ça y est, je vois le train en contrebas. Il me faut juste descendre la rampe qui descend en trois tronçons : zig-zag-zig. Mais au pied de la première, des barrières bloquent le passage. Déjà les autres retardataires parlementent et haussent le ton face aux deux contrôleurs qui ne veulent rien savoir, et désignent du doigt une autre rampe d’accès, plus loin à gauche.

Je fais demi-tour, un début d’affolement me gagne, vite ! Le train va partir. Je courre en suivant les autres voyageurs mais curieusement, nous quittons la gare par un passage qui ressemble à s’y méprendre à celui  jouxant la consigne de la gare Saint-Lazare (rue de Rome ?).

Nous voici en file indienne, traversant une grande place éclairée de jaune et de rouge. Il fait doux, presque chaud.  Orageux même. La file entreprend d’escalader la goutière qui descend du toit le long de la façade d’un superbe immeuble haussmanien fraichement ravalé. Tous  enjambent ensuite un balcon au troisième étage et entrent par la fenêtre.

Faiblement éclairé, l’appartement est somptueux. Le parquet de  chène a la couleur et l’odeur du miel. Les moulures, nombreuses et discrètes, en imposent. De grands mirroir fixés sur des cheminés grimpent au plafond. La lumière vient de l’extérieur, côté rue : ouf ! Cela signifie que l’endroit est désert. Mais tandis que nous traversons l’appartement immense, j’entends un bruit lointain de chasse d’eau, puis une porte qui grince. La peur m’étreint : et si les occupants me découvraient ici, qu’adviendrait-il ? D’autant que, Oh misère ! un nourisson dort, alongé sur le dos,  installé sur une couette moelleuse posée à même le sol. Au-dessus de sa tête tourne un mobile et, tout autour, un réseau de fils de fer jonche le sol. Des clochettes y sont suspendues. Nous sommes seuls dans cette chambre qui doit mesurer pas loin de soixante mètres carrés. Où sont passés les autres ? Là ! par la fenêtre ouverte, j’aperçois l’un d’entre eux qui, qui… Mais ils sont dingues ! Il traversent la rue suspendus à un cable électrique, comme s’il s’agissait d’effectuer un parcours du combattant. J’ai un profond sentiment d’absurdité : il suffirait pourtant de redescendre par la cage d’escalier et de traverser à pied au passage zébré pour rejoindre l’autre trottoir ! Ce que je m’empresse de faire, plus apeuré à l’idée d’effrayer les occupants s’ils me découvraient, que par le fait de rater mon train.

Me voilà comme par magie de nouveau dans la gare, en haut de la rampe d’accès au quai où je constate avec horreur que mon TGV part. Je courre aussi vite que mes bagages me le permettent, et saute sur le toit du train. Un énorme soulagement m’envahit, et je reste quelques instants ainsi, las, à rêvasser… Lorsque soudain je me prépare à descendre. On vient de passer la gare de Massy. Je le sait car j’ai reconnu la passerelle qui surmplombe les voies. Nous sommes quelques pouilleux assis sur le toit du train, comme d’autres sur un car en Inde ou au Pérou.

Enfin ! Je suis sur le quai. Je quitte la gare pour le métro, dont je cherche en vain l’entrée. Cette gare souterraine des Halles est parcourue d’interminables couloirs et les directions des lignes sont mal indiquées. Je fini quand même par sauter dans une rame de la ligne huit, la mauve. Bientôt, je serai à l’aéroport. Je souris à cette idée, et me voici aussitôt transporté au bout d’un couloir qui mène à la porte d’embarquement. Mais une fois là, on me refoule au prétexte que j’ai oublié mon manteau. Mon Dieu ! Comment ai-je pu faire une telle bêtise ? Oublier mon manteau ! Tout est perdu ! Je suis au désespoir car je sais que jamais, plus jamais je ne reverrai mes enfants.

Cette pensée est si odieuse que le rêve s’arrête ici, avec un arrière goût de cauchemard.

Chute en apesanteur

Le point de lumière de l’entrée du puit se réduit et finit par disparaître, à mesure que je chute dans ce cylindre sans fond. Tout autour de moi est noir, et l’air qui soulève mes vêtements et mes cheveux est tiède.

Sans repères, la chute n’est ni vertigineuse ni angoissante. Je sens même une légère euphorie m’envahir lorsque je comprends que je ne tombe pas, mais que je flotte. Le vents que je sentais plus tôt est en fait un courant d’air ascendant, qui m’enveloppe moelleusement.

Le corps bien droit, bras écartés, je tourne sur moi-même, infiniment libre et heureux.