Je dois attraper ce train qui part dans une heure, rentrer de toute urgence à la capitale. L’angoisse du retard se mue peu à peu en peur alors que je me sens perdu, déambulant au hasard dans cette ville qui, au fond, ressemble plus au coeur historique de Lyon « by night », qu’à Belfort. Mais comment saurais-je à quoi ressemble Belfort, d’ailleurs, ni étant jamais allé ? C’est bien la preuve que je suis à Dijon !
Ça y est, la foule des personnes portant valises et sacs à dos converge au même point. Nous longeons un batiment de vieille gare de province, où les espaces se succèdent comme les peñas à Bayonne, chacune avec ses vieux en bleu de travail, clope au bec, qui nous toisent d’un oeil mauvais, ou simplement éteint. Forcément ! Ils restent ici, eux, tandis que nous, nous partons à l’aventure.
Ça y est, je vois le train en contrebas. Il me faut juste descendre la rampe qui descend en trois tronçons : zig-zag-zig. Mais au pied de la première, des barrières bloquent le passage. Déjà les autres retardataires parlementent et haussent le ton face aux deux contrôleurs qui ne veulent rien savoir, et désignent du doigt une autre rampe d’accès, plus loin à gauche.
Je fais demi-tour, un début d’affolement me gagne, vite ! Le train va partir. Je courre en suivant les autres voyageurs mais curieusement, nous quittons la gare par un passage qui ressemble à s’y méprendre à celui jouxant la consigne de la gare Saint-Lazare (rue de Rome ?).
Nous voici en file indienne, traversant une grande place éclairée de jaune et de rouge. Il fait doux, presque chaud. Orageux même. La file entreprend d’escalader la goutière qui descend du toit le long de la façade d’un superbe immeuble haussmanien fraichement ravalé. Tous enjambent ensuite un balcon au troisième étage et entrent par la fenêtre.
Faiblement éclairé, l’appartement est somptueux. Le parquet de chène a la couleur et l’odeur du miel. Les moulures, nombreuses et discrètes, en imposent. De grands mirroir fixés sur des cheminés grimpent au plafond. La lumière vient de l’extérieur, côté rue : ouf ! Cela signifie que l’endroit est désert. Mais tandis que nous traversons l’appartement immense, j’entends un bruit lointain de chasse d’eau, puis une porte qui grince. La peur m’étreint : et si les occupants me découvraient ici, qu’adviendrait-il ? D’autant que, Oh misère ! un nourisson dort, alongé sur le dos, installé sur une couette moelleuse posée à même le sol. Au-dessus de sa tête tourne un mobile et, tout autour, un réseau de fils de fer jonche le sol. Des clochettes y sont suspendues. Nous sommes seuls dans cette chambre qui doit mesurer pas loin de soixante mètres carrés. Où sont passés les autres ? Là ! par la fenêtre ouverte, j’aperçois l’un d’entre eux qui, qui… Mais ils sont dingues ! Il traversent la rue suspendus à un cable électrique, comme s’il s’agissait d’effectuer un parcours du combattant. J’ai un profond sentiment d’absurdité : il suffirait pourtant de redescendre par la cage d’escalier et de traverser à pied au passage zébré pour rejoindre l’autre trottoir ! Ce que je m’empresse de faire, plus apeuré à l’idée d’effrayer les occupants s’ils me découvraient, que par le fait de rater mon train.
Me voilà comme par magie de nouveau dans la gare, en haut de la rampe d’accès au quai où je constate avec horreur que mon TGV part. Je courre aussi vite que mes bagages me le permettent, et saute sur le toit du train. Un énorme soulagement m’envahit, et je reste quelques instants ainsi, las, à rêvasser… Lorsque soudain je me prépare à descendre. On vient de passer la gare de Massy. Je le sait car j’ai reconnu la passerelle qui surmplombe les voies. Nous sommes quelques pouilleux assis sur le toit du train, comme d’autres sur un car en Inde ou au Pérou.
Enfin ! Je suis sur le quai. Je quitte la gare pour le métro, dont je cherche en vain l’entrée. Cette gare souterraine des Halles est parcourue d’interminables couloirs et les directions des lignes sont mal indiquées. Je fini quand même par sauter dans une rame de la ligne huit, la mauve. Bientôt, je serai à l’aéroport. Je souris à cette idée, et me voici aussitôt transporté au bout d’un couloir qui mène à la porte d’embarquement. Mais une fois là, on me refoule au prétexte que j’ai oublié mon manteau. Mon Dieu ! Comment ai-je pu faire une telle bêtise ? Oublier mon manteau ! Tout est perdu ! Je suis au désespoir car je sais que jamais, plus jamais je ne reverrai mes enfants.
Cette pensée est si odieuse que le rêve s’arrête ici, avec un arrière goût de cauchemard.