Archives pour la catégorie Rêve loufoque

Berlingo

Je courre entre les lignes blanches. Comme un fou. Les poumons me brûlent.

L’horizon semble à portée de main, comme si j’arrivais en permanence au dernier pas qui sépare du sommet de la butte.

Et puis je grandis. Je m’étire comme un chewing-gum et à mesure que je prends de la hauteur, plus je mesure les limites de mon terrain de course. C’est rigolo de voir comme mes pieds sont tout petits au bout de mes looooongues jambes !

Le doute n’est plus permis : je courre sur un berlingo géant. J’avance droit et pourtant je tourne en rond. J’ai un sentiment intense d’absurdité qui me pousse à sauter dans le vide…

Pour retomber pesamment sur un sol veiné couleur sable foncé. Je m’assieds et je ris aux éclats : je suis sur une cacahuète géante !

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Des zèbres et des moutons

On est dedans, et en même temps dehors. Et on tourne assis sur des zèbres.

Le sol est jonché cadavres de souris jaunes fluo, qui luisent dans la pénombre, et couinent pourtant.

Je lève la tête. Dans le ciel, des nuages cotonneux balancent doucement. J’aperçois par moments qu’ils portent quelque chose.

J’entraine mon zèbre en hauteur et, parvenus au sommet d’un escalier en colimaçon plus étroit qu’une chatière, je constate que ce sont des moutons qui y dorment, pattes avant croisées sous le menton.

Et je ris. Je ris. Je ris encore.

La gencive

La pièce est sombre et exiguë. Les couleurs sont fanées, j’hésite entre décoration des années soixante-dix et décor de toile de maître flamand.

Je tiens devant moi, dans la paume de ma main droite, mon crâne décharné quoiqu’encore chevelu. J’observe avec attention ma dentition et constate, horrifié, qu’une couche de tartre marron macule le haut des molaires.

Pour regarder de plus près, je retire cette partie, reste de gencive inclus, l’approche de la lumière qui vient de la fenêtre, et comprends instantanément d’où provient mon haleine fétide !

D’une prison l’autre

L’escalator débouche au centre d’une vaste cour carrée, remake stalinien de la place des Vosges. On pourrait aussi bien se croire à La Défense, ou à Saint-Quentin-en-Yvelines. Apercevant les wagons qui tournent sous les coursives, apparaissant puis disparaissant au fil des colonnes, je baisse la tête, ferme les yeux et demande à M. qui m’accompagne de me prévenir lorsque le manège aura cessé : je ne peux regarder ce spectacle sous peine d’attraper une migraine de mal de mer.

« Attention la vague ! » s’écrit-elle soudain. Rouvrant les yeux, ébloui, désorienté, je vois derrière moi un mur d’eau de vingt mètres au moins. Je sens que M. est à l’abri, et constate que la vague avance au ralenti, laissant admirer les jeux de lumière sous sa surface comme sous celle d’un iceberg.

Reste qu’il ne faut pas rester là. Là, c’est à trois mètre d’un mur d’enceinte en béton crépi façon Fleury-Mérogis, aucune prise, cul de sac, terminus.

Un miracle se produit alors : sur le mur est projeté le film d’un arbre dont les branches solides se soulèvent ou retombent paresseusement. J’agrippe la première branche, puis la seconde, et ainsi de suite jusqu’à arriver en haut du mur, d’où je saute sur le platane de l’autre côté sans un regard pour la vague qui…

Redescendu au pied de l’arbre, je m’époussette, rajuste ma veste et me dirige vers le tabac pour acheter des cigarettes.

African diaspora

Partout autour de moi, la banquise à perte de vue. Jamais vu de sable aussi blanc, aussi fin. Tiens, on croirait de la neige. Le ciel écrasé de lumière est du même bleu pale que celui de Dakar. Et ce qu’il fait chaud ! Drôle de pole, décidément.

Ah ! Les voilà. Sacrés pingouins ! Ils sont amusants, avec leur démarche pataude. Et nombreux avec ça. Comme un trait de feutre qui s’allonge sur l’horizon à mesure qu’ils approchent. De fait, le trait s’étire et s’étire des deux côtés, de plus en plus vite maintenant. Et s’épaissit. C’est qu’ils m’encerclent, dis donc ! Ils sont quoi, des milliers ? Des dizaines de milliers ? Peut-être bien plus encore.

Je ne les pensais pas aussi grands, ni aussi efflanqués, ni aussi dignes. Ils ont troqué leur manteau queue-de-pie pour un ensemble marron foncé défoncé. Ils avancent toujours vers moi, et j’angoisse à l’idée que je n’ai rien à leur dire d’intéressant.

Lorsque les premiers arrivent à un ou deux mètres de moi, ils s’immobilisent instantanément. Comme figés dans la même fraction de seconde. L’Intensité du moment est telle, qu’on croirait entendre le silence.

Et, de même qu’ils se sont arrêtés d’un coup, ils entonnent aussi soudainement un reggae polyphonique. Fascinant. Je ne comprends pas les paroles, mais lorsqu’ils chantent le refrain, je reconnais l’expression « African diaspora ».

Des pingouins d’Afrique, manquait plus que ça ?!

On dirait Sienne

Je reconnais cette place ! J’ai déjà rêvé ici. Place en demi-cercle, pavée, grande, lumineuse, pourtant entourée de hautes façades d’immeubles aux fenêtres rares, guère plus larges que des meurtrières.

Quelques touristes en combinaison survolent le lieu, flottant sur le ventre comme des bibendums célestes. Le point de vue doit être exceptionnel de là-haut. Des pigeons mécaniques se dandinent à la queue-leu-leu, direction la fontaine de l’ange-gardien-du-Saint-Sépulcre.

Il fait bon, comme une après-midi de printemps. Le goût du mafé qu’on m’a servi ristretto est divin. Et mon dromadaire préféré est tranquillement assis à mes pieds. Enfin, jusqu’à ce que la chute d’un touriste volant sonne l’heure de son diner.

Le spectacle est tout bonnement inénarrable.

Et le bonheur, décidément, un instant fugace.

Sur les tables

« Magistral ! » s’exclame en s’approchant de moi le gros ours vert qui circule de table en table.

Il faut dire que nous nous tenons tous dans des positions extraordinaires, digne des meilleurs contortionnistes : M. tient sur une main et un pied, la tête de côté. S. et M. ont opté pour moins périlleux, l’un en tailleur en équilibre sur ses trois mains, l’autre en appui sur son épaule plate comme un pneu crevé.

Ce n’est pas un cours de yoga, juste une après-midi dans un café. L’ours vert m’a servi un jus de croissant que je sirote à l’aide d’une paille grosse comme un tuyau d’arrosage. 

Les odeurs, divines, ont toutes leur couleur. Aussi l’atmosphère est-elle translucide et feutrée, comme dans la brume par temps de neige.

S. demande à la cantonade qui peut lui gratter les dents. Ça provoque un éclat de rire qui nous fait tous tomber de nos tables. Nous rampons les uns vers les autres en gloussant et s’exclaffant. Une fois réunis, nous formons une grande couverture écossaise. Je crois que nous nous endormons ainsi, bien au chaud.

Edmundtown

Les rues d’Edmundtown sont désertes. En plein midi il fait une chaleur de tous les diables.

J’accompagne S. à l’école. J’ai un doute : sommes-nous dimanche ? Est-ce un jour férié ?

Nous entrons dans un « dinner » boire un crakola. Surprise, c’est plein à craquer là-dedans !

Je commande les liqueurs de cacao et demande à S. de m’avancer les deux Thalers qui me manquent.

Il acquiesce et pose ses mains sur ses yeux. Lorsqu’il les retire, il a une grosse pièce dorée dans la main. Et ses yeux ont disparu. Une peau uniforme va de son front à ses joues et son nez.

Interloqué, je lui dis que ce n’est pas bien malin, qu’il ne va rien voir en classe. Il sourit et me répond : « pas grave p’pa, tu me les rembourseras bientôt « .

CQFD.

Les herbes du Marquis

Cette plage paradisiaque de Corse est déserte. La mer, lisse comme du marbre poli, reflète un ciel orange.

Assis sur un pot de chambre, je compte les grains de sable entre mes pieds. Centaines, milliers, millions, billions, je suis inlassable.

Un ombre interrompt soudainement mon dénombrement : un arbuste imposant se dresse face à moi. Son odeur est celle du maquis.

Il me caresse les cheveux de ses branches et me propose de venir goûter ses herbes.

Fasciné, je me lève et me tiens au milieu d’une infinité d’arbustes odorants. Suivant son invitation, je picore des feuilles que je mâche lentement, consciencieusement. Elles ont un goût amer mais divin.

Le vent se lève et une rumeur naît et se multiplie en parcourant les branches. Je me penche pour écouter plus attentivement et entends : « il mange les herbes du Marquis, vivaré, vivaré ».

Au matin, je reste songeur.

Aphone en panne

la scène se déroule dans la luxueuse villa corse de Johnny H. Il y a là le gratin du show-biz et des belles lettres. Quelques acteurs porno sont en représentation au bord de la piscine tandis que Nestor sert le champagne à la vitesse de la lumière derrière le comptoir dressé dehors.

Johnny me prend par l’épaule et me parle tout bas. Je sais qu’il me flatte même si je ne comprends rien de son langage aux sonorités italo-flamandes.

Nous nous retrouvons au pied d’une immense scène dressé en contrebas. Je devine qu’il m’invite à monter avec lui et jubile à l’idée de partager ce concert avec lui.

Devant nous, une foule immense se presse au pied de l’estrade, poussant des hurlements d’impatience.

« C’est à toi » me dit-il avant de disparaitre par une trappe qui, sitôt refermée, n’est plus visible.

Une guitare à la main, ruisselant de sueur et de trouille, je me lance dans l’interprétation d’A Day in the Life des Beatles.

Sauf qu’aucun son ne sort de ma bouche, et je n’entends aucun retour de ma guitare. Les hurlement d’impatience du public innombrable se muent une seconde en un silence hébété, avant que la colère ne gronde.

Je sors mon iPhone de ma poche pour appeler à l’aide, mais l’écran affiche « service en maintenance, repassez plus tard ». De rage, je jette téléphone et guitare sur les premiers spectateurs arrivés sur la scène pour, je le sais bien, me casser la figure.

Je hurle, toujours aussi aphone, et trépigne ridiculement comme si je dansais la danse de la pluie.

C’est alors que Johnny apparait, me prend dans ses bras et invite l’assemblée, qui s’exécute aussitôt, à m’applaudir. Puis à l’oreille il me confie : « j’adore les blagues ».

Sale con.