Archives pour la catégorie Rêve angoissant

Mener sa barque

Nous sommes une trentaine dans cette grotte, tous étrangers les uns aux autres. Il fait nuit.

A trois mètres de l’entrée, un précipice au-delà duquel on aperçoit les lumières d’une ville portuaire. Un paquebot plus haut que long a largué les amarres.

Nous voulons tous rejoindre la ville, même si nous savons que nous n’y retrouverons pas les gens qui nous sont chers.

L’instant d’après je me tiens sur le ponton d’un chalutier, mains sur le bastingage. La mer est calme. Par endroit, l’eau tombe dans des précipices grands comme des lacs. 

Le bateau peine à suivre les chemins qui serpentent entre les chutes. Nous sommes guidés par le défilé des navires qui nous ont précédés.

Je suis terrifié à l’idée que le bateau bascule dans le vide. Et heureux de suivre ma course vers un grand je ne sais quoi.

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D’une prison l’autre

L’escalator débouche au centre d’une vaste cour carrée, remake stalinien de la place des Vosges. On pourrait aussi bien se croire à La Défense, ou à Saint-Quentin-en-Yvelines. Apercevant les wagons qui tournent sous les coursives, apparaissant puis disparaissant au fil des colonnes, je baisse la tête, ferme les yeux et demande à M. qui m’accompagne de me prévenir lorsque le manège aura cessé : je ne peux regarder ce spectacle sous peine d’attraper une migraine de mal de mer.

« Attention la vague ! » s’écrit-elle soudain. Rouvrant les yeux, ébloui, désorienté, je vois derrière moi un mur d’eau de vingt mètres au moins. Je sens que M. est à l’abri, et constate que la vague avance au ralenti, laissant admirer les jeux de lumière sous sa surface comme sous celle d’un iceberg.

Reste qu’il ne faut pas rester là. Là, c’est à trois mètre d’un mur d’enceinte en béton crépi façon Fleury-Mérogis, aucune prise, cul de sac, terminus.

Un miracle se produit alors : sur le mur est projeté le film d’un arbre dont les branches solides se soulèvent ou retombent paresseusement. J’agrippe la première branche, puis la seconde, et ainsi de suite jusqu’à arriver en haut du mur, d’où je saute sur le platane de l’autre côté sans un regard pour la vague qui…

Redescendu au pied de l’arbre, je m’époussette, rajuste ma veste et me dirige vers le tabac pour acheter des cigarettes.

La pipe cassée

Nous sommes une bonne soixantaine d’adultes vêtus de kimonos jaunes, assis en tailleur sur de gros tatamis moelleux, visages tournés vers l’écran gigantesque sur lequel est projeté une course de vaches. La voix du commentateur est comme en sourdine, ou alors c’est moi qui suis tant concentré sur les bruits de son visage invisible, que je perçois ses paroles lointainement.

Ce que j’entends clairement, en revanche, est le bruit de l’objet qui vient de glisser de ses lèvres et chute comme indéfiniment. Je reconnais le sifflement caractéristique de l’air sur une pipe de bruyère à col de cygne et, instantanément, je mesure avec horreur ce qui va se produire dans l’instant.

La pipe apparaît en haut de l’écran et tombe en dehors du cadre, sur le parquet de notre salle, sous nos yeux incrédules.

Evidemment, elle se brise, dans un claquement à la fois net et pourtant étiré, comme si la scène se déroulait simultanément en temps réel et au ralenti.

Aucun cri, juste un frisson d’effroi qui glace l’atmosphère. Le présentateur désormais muet, on entend l’affolement des vaches de course et de leurs jockeys, tandis que sous nos yeux un sang épais, noir et fumant s’écoule des morceaux de la pipe.

Je crois que je mets à pleurer lorsque je reconnais la pipe de mon père.

(Petite) mort

« Tu es mort » me dit le cheval vert bicéphale, avant de se brouiller jusqu’à disparaître.

Je suis allongé face au ciel sur la ligne blanche de la piste d’aéroport d’Ajaccio, me répétant en boucle cette phrase que je ne comprends pas vraiment : « tu es mort, tu es mort, tu es mort, tu es… ».

Une pollution nocturne me réveille quelques instants. Dans ce demi-sommeil, je pense que cette mort annoncée n’est au fond qu’une petite mort.

Rassuré, je me rendors.

Échiquier mat

Dans la rangée adverse se tiennent S. et J., vêtus de leurs habits de mariage bariolés tendance funky.

Je sais que c’est eux, mais leurs visages me rappellent plutôt ceux de A. et S.

J’avance en sautant de case noire en case noire pour me rapprocher d’eux et en avoir le coeur net, mais une ribambelle de gamins bruyants se met en travers de mon chemin.

Ils trichent ! Se positionnant indifféremment sur les cases noires et blanches, alors qu’ils jouent les blancs.

Je décide de les imiter mais lorsque je saute sur la case blanche devant moi, aucun sol ne m’arrête et je tombe dans un vide insondablement lumineux.

Je me relève dans une pièce entièrement capitonnée sans porte ni fenêtre, aux murs si haut que je sais ne pas pouvoir sortir de là sans aide extérieure.

Je ressens une grande détresse en songeant que je n’aurais jamais du quitter la partie sur l’échiquier mat.

Des morts-vivants dans une boîte d’allumette

Dans ma boîte. Allongé. Allumette parmi d’autre, parmi mes collègues allumettes.

C’est oppressant, une boîte. Surtout quand il n’y reste presqu’aucune place.

Cet état me met en colère, la tête me brûle et, forcément, je m’enflamme.

A ma plus grande surprise – et plus grand soulagement – ma flamme ne se propage pas aux autres allumettes. « Bien sûr, me dis-je, ils sont morts dans leur tête « . Et là, je n’ai plus qu’une pensée : fuir.

Je me réveille en sueur plein de terreur d’avoir séjourné si longtemps au pays des morts-vivants.

Débâcle

Encore un labyrinthe. Ou plutôt, une successions de pièces, compliquée, où nous passons pour libérer la bête, que rien ne sauvera autrement.

C’est une ambiance de débâcle. Les familles se tiennent par la main. Se guident, « non, pas par là, c’est dangereux ». Et se perdent.

Les couloirs sont encombrés de vieux meubles protégés de draps épais et poussiéreux, faisant du chemin un parcours du combattant.

Nous sommes tenaillés par l’angoisse d’être entrainés puis séparés par la foule.

Nous bifurquons dans une salle sur notre gauche. Elle est d’un blanc éclatant qui nous éblouit.

Puis plus rien.

Aphone en panne

la scène se déroule dans la luxueuse villa corse de Johnny H. Il y a là le gratin du show-biz et des belles lettres. Quelques acteurs porno sont en représentation au bord de la piscine tandis que Nestor sert le champagne à la vitesse de la lumière derrière le comptoir dressé dehors.

Johnny me prend par l’épaule et me parle tout bas. Je sais qu’il me flatte même si je ne comprends rien de son langage aux sonorités italo-flamandes.

Nous nous retrouvons au pied d’une immense scène dressé en contrebas. Je devine qu’il m’invite à monter avec lui et jubile à l’idée de partager ce concert avec lui.

Devant nous, une foule immense se presse au pied de l’estrade, poussant des hurlements d’impatience.

« C’est à toi » me dit-il avant de disparaitre par une trappe qui, sitôt refermée, n’est plus visible.

Une guitare à la main, ruisselant de sueur et de trouille, je me lance dans l’interprétation d’A Day in the Life des Beatles.

Sauf qu’aucun son ne sort de ma bouche, et je n’entends aucun retour de ma guitare. Les hurlement d’impatience du public innombrable se muent une seconde en un silence hébété, avant que la colère ne gronde.

Je sors mon iPhone de ma poche pour appeler à l’aide, mais l’écran affiche « service en maintenance, repassez plus tard ». De rage, je jette téléphone et guitare sur les premiers spectateurs arrivés sur la scène pour, je le sais bien, me casser la figure.

Je hurle, toujours aussi aphone, et trépigne ridiculement comme si je dansais la danse de la pluie.

C’est alors que Johnny apparait, me prend dans ses bras et invite l’assemblée, qui s’exécute aussitôt, à m’applaudir. Puis à l’oreille il me confie : « j’adore les blagues ».

Sale con.

Mourir de rire

Assis sur les marches de l’escalator sans fin, tout en cristal, dans le vide d’un ciel clair à perte de vue, je suis dos à A. qui est assis une marche plus haut.

Il me raconte son voyage à Bernique avec S. et C.

Comme toujours, sa manière de raconter ses périples est pleine de finesse et le regard lucide et cocasse qu’il porte sur les lieux et les gens sont à mourir de rire.

Mais justement, je ne dois pas rire. Mon médecin me l’a formellement déconseillé. Je pourrais mourir sinon.

Et c’est terrible de l’entendre, si enjoué, narrer les situations loufoques où ils se sont trouvés, à prendre des douches sous les bombes de Sarajevo, entouré de tuberculeux à Sanaâ, manger des plourds empoisonnés à Cubase.

Cela me coûte un effort monstrueux de ne pas laisser sortir ce rire profond qui veut tout emporter.

C’est alors que je vois monter vers nous le Joker, défiguré par la grimace qui maquille sa bouche. Il me fixe et articule péniblement que j’ai le choix entre rire et mourir ou ne pas rire et être déjà mort.

Je botte en touche et choisis de me réveiller.

Le monstre derrière le rideau

Derrière le rideau de perles d’huile se cache le monstre. Je devine sa présence à l’odeur acre qu’il dégage, et à la silhouette sombre qui se découpe dans les interstices du rideau.

Je devrais m’enfuir mais je sais qu’il ne m’attrapera pas tant que je resterai dehors. N’empêche, des gouttes de sueur perlent sur mon nez, me brouillant la vue.

Comment faire pour traverser la maison et… Et quoi au fait ? Je l’ignore. Mais je sais que c’est vital.

Avant d’avoir trouvé une solution, une stratégie, je me vois traverser le mur de façade comme s’il s’agissait d’un nuage. Du coup, je passe de pièce en pièce par les cloisons pour me retrouver dans le jardin intérieur.

L’œuf est là, gigantesque, luisant et veiné comme s’il était fait de marbre blanc. Il émet des pulsations sourdes inquiétantes. Quelque chose veut en sortir, que je dois aider.

J’attrape la mobilette bleue garée contre le mur pour briser la coquille, mais elle ne marche pas. Il faut la réparer et, ça tombe bien, il y a là un aspirateur flambant neuf dont je m’aide pour remettre le moteur en route.

Cela fait, j’attrape l’engin à bout de bras et le projette violamment contre l’œuf. Mais la mobilette rebondit et se répand en mille morceaux à mes pieds. J’entends le monstre qui se rapproche, c’est terrible, il me reste quelques secondes au plus avant qu’il ne débarque et m’embroche.

Aussi, je me saisis d’une cafetière italienne posée sur la table et me mets en garde pour parer l’attaque.

Mais je n’ai pas le temps de voir le monstre : le réveil sonne. Ouf !