Archives pour la catégorie Rêve agréable

Greffe de casquette

Mon chapeau s’est envolé. C’est très ennuyeux, ça. Maintenant je me sens nu, sans mon chapeau.

Nu et pauvre, parce que ce chapeau, il est en peau de labrador. C’est précieux ça, le labrador.

Mais en pleine mer, difficile de retrouver un chapeau envolé.

Transfert. Dans le bloc opératoire, le chirurgien procède à une greffe de casquette sur mon crane entièrement rasé. Il semble désolé, je lui demande pourquoi. Il répond presque à contrecœur : « C’est qu’une casquette en troc, ça remplacera jamais un chapeau en labrador ».

Il a raison, mais je m’en fous. Il faut savoir tourner la page, accepter le changement. Et puis, je suis content d’être sur cette table d’opération dans le petit salon de la maison de V.

L’instant d’après, c’est drôle, je grimpe le long de la façade d’un building à la manière de l’homme araignée, très fier de ma casquette.

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Le grand chaine

Dans cette cette clairière règne un silence doux. Je me tiens à équidistance des arbres qui la bordent en un cercle parfait.

Mes pieds s’enfoncent dans la terre meuble et tiède au même rythme que s’ils étaient posés sur le sable mou des premières vagues.

Je sens mes bras se lever pour se tendre à l’horizontale. Ma nuque est raide. C’est aussi amusant que de se faire enterrer dans le sable sur la plage, quand on sent son corps s’immobiliser progressivement.

Les premières feuilles qui poussent sur l’extrémité de mes doigts me chatouillent. Elles sont d’un joli bleu, en forme de coeur. Je me sens radieux.

Mes bras se couvrent de petites pousses qui croissent et font des branches qui s’élargissent à vue d’oeil.

Mes cheveux se dressent à leur tour en un feuillage dru. C’est plus douloureux que sur les bras, quoique sous les aisselles ça gêne aussi. A son tour, ma verge se tend, se raidi, bruni et se couvre de petits coeurs bleus.

Je suis enfin une chaine. Une grande chaine majestueuse plantée au centre d’une jolie clairière.

Plus rien ne peut m’arriver désormais.

Les buts et le psy

Allongé sur le divan du psy, je contemple le plafond peint en ciel, où des mouettes voltigent avec grace. D’ailleurs, est-ce un plafond ou le vrai ciel ?

Je lui décris en détail les buts que j’ai marqué à mon dernier match de foot. Le plus beau, je l’ai mis d’un coup de raquette rageur. Hulk, qui gardait les buts adverses, n’a rien vu venir.

Le psy m’interrompt. Sa voix grave et rauque m’enveloppe comme venant de partout et nulle part. Comme une annonce divine. « Tu te ments comme un arracheur » me dit-il.

Je proteste vigoureusement, battant des bras et des jambes à la manière de quelqu’un qui se débat pour échapper à la noyade.

Je me sens ridicule, pris sur le fait, mais en même temps très serein lorsque je lui réponds que les petits mensonges sont des chiffons qu’on passe pour faire briller la surface terne de nos vies.

Le psy-grenouille coasse de rire, et les mouettes se figent au plafond, puis tombent comme des pierres. Ça fait mal, mais c’est drôle.

Le train-paquebot et le martien

J’ai raté mon train. Debout, essouflé sur le quai de la gare, les hublots du grand paquebot sur rails défilent sous mes yeux. J’enrage.

Le contrôleur qui apparaît devant moi soudainement a l’allure d’un martien dans son costume vert foncé. Il dégage une odeur rance écoeurante. Je recule précipitemment lorsqu’il fait mine de s’approcher, tendant son bras vers la grosse cantine en fer que je porte sur l’épaule. Et je tombe sur la voie, qui est en fait une rivière au faible courant.

Accroché à ma cantine comme à une bouée, je tente de nager jusqu’au quai mais mon corps est entrainé dans le sillage du paquebot.

Je me réveille sur un lit à baldaquin dans une grande chambre au décor chargé, dans le plus pur style rococo. Le contrôleur est assis à califourchon sur mon bassin et remue comme un cavalier sur sa monture au galop.

Le salaud ! Il tente de se reproduire, me dis-je avec effroi. Je me retire brusquement alors qu’il pousse un cri déchirant qui me fait perdre connaissance.

Sirotant mon café du matin, je souris à l’idée d’être le père d’une lignée d’hybrides…

La plage

Nous marchons au bord de la mer avec M. et les enfants. C’est un moment délicieux. Sur l’estran, d’étranges canards à six pattes s’égayent, se déplaçant en crabe et cancanant sans cesse. Je me sens en totale harmonie avec la nature et ceux qui m’entourent.

Nous laissons de profondes traces de pas dans le sable mouillé, qui s’effacent assez vite. Je ne prête pas attention aux premières douleurs dans les cuisses. Jusqu’au moment où je ressens des courbatures et dois ralentir mon allure. M. et les enfants prennent de la distance tandis que ma douleur se mue en ankylose, puis en paralysie.

Je ne sens plus mes jambes, je suis planté dans le sable où je m’enfonce inexorablement. Je me sens apaisé, les sensations disparaissent peu-à-peu, les couleurs s’opacifient jusqu’à m’entourer d’une obscurité totale, dans laquelle je me fonds.

La Grande Poëlle

L’homme au chapeau haut de forme tient des propos incohérents dans une langue que je ne connais pas. Sa barbe noire, taillée en pointe, lui mange le visage au point de ne plus laisser paraitre que son nez, qu’il a prohéminent et vert. C’est là que je me dis que quelque chose cloche.

Par réflexe, je regarde ma main et constate que j’ai six doigts. C’est un soulagement car je comprends que je suis dans un rêve. Et ce barbu légèrement inquiétant ne m’effraie plus du tout.

Je décide de partir et, levant le poing droit vers le ciel, je m’envole. Quelle sensation grisante ! Au-dessous, les toits des maisons rapetissent, je vois des champs qui à leur tour se réduisent à des taches de couleurs et, une fois atteinte la très haute altitude, il n’y a plus sous mes yeux qu’un tableau non-figuratif, qu’on eût pu croire exécuté par un peintre impressionniste.

Toujours plus haut, toujours plus vite, je suis propulsé dans le vide intersidéral où je choisis de me diriger vers la constellation de la Grande Poëlle.

Le premier coup de tonnerre au-dehors me réveille en sursaut. Zut ! Je ne saurai jamais si je serais parvenu à destination.

la gloubiboulebouffe et le vélo

Casimir, le gentil monstre orange de l’Ile Aux Enfants, a le visage de Jean-Pierre Coffe. Il saute en tous sens, gesticule autour du plan de travail, en mélangeant tout un tas d’ingrédients bizarres dans un énorme saladier en plastique rose : de la farine, des malabars, des fioles contenant des liquides épais verts, violets ou bleus. Des feuilles de salade, des escargots en chocolat et pour finir, un soupçon de Viandox.

Assis au milieu d’un public jeune, dans le gradin des spectateurs du tournage de cette nouvelle émission culinaire je suis fasciné par cette figure de mon enfance.

Casimir-Coffe saute sur place, rumine bruyament en touillant sa préparation, tente des sourires forcés, puis demande haut et fort, avec cette truculence indignée qui le caractérise : « Alors !? Qui n’en veut goûter ma gloubiboulebouffe ? Personne, hein ?! ».

Gêné, je me détourne de ce démonstrateur perdu au milieu de ce grand espace, que je reconnais maintenant être le magasin Décathlon. Je me promène entre les linéaires en fouillis, qui évoquent les boutiques d’achat-vente de produits d’occasion comme Le Troc Dé B’ile, Happy-Crash ou Trash Converter. Les rayons sont plein de produits aussi hétéroclites qu’inutiles, qui ne retiennent pas mon intérêt.

Du moins jusqu’à ce que je tombe sur les vélos… Je farfouille et saisis une petite voiture coccinelle provenant d’un vieux manège. Elle est trop petite pour moi. Dommage ! J’ai tant besoin d’un moyen de transport économique pour me rendre au bureau. Derrière un grand vélo sont cachés des voitures à pédales, des karts à la façon des voitures de course des années 1950, ou encore des rosalies pour enfants, aussi colorées et ornementées que les cabanes de maharadja sur le dos des éléphants d’apparat.

Et là, soudainement, je vois ce vélo au cadre noir mat, léger comme le vent, et dont le pignon, étrangement, est fixé à la verticale, à l’avant sur le bas du cadre (sans doute un système révolutionnaire !). C’est un choc esthétique absolu. Mais il est vendu 273€. Je sais que je n’ai pas les moyens, ce serait un achat déraisonnable, et j’entreprends d’appeler M. pour obtenir son consentement.

J’ignore si j’ai échangé par téléphone. Je soulève la housse qui ne recouvrait pas le vélo quelques instants plus tôt, et découvre que celui-ci abrite une petite bibliothèque, contenant des BD et des romans jeunesse des années quatre-vingt. Je rabats la housse et me dit qu’en négociant 40€ – et à condition de revendre les livres -, le vélo serait une excellente affaire. Je sais pourtant au fond de moi que ces BD ne valent rien et que je ne réussirai jamais à les vendre.

Finalement, je m’éloigne du rayon à regrets.

 Venise – Rouen – Istanbul

Fraichement débarqué de la gondole qui m’a conduit sur ce quai de Venise, je dois traverser la ville pour me rendre à l’embarcadère Saint-Pierre, d’où je partirai pour Istanbul.

Quelle ville incroyable ! Ces murs blancs, brillants, richement ornementés, ces tentures orientales, multicolores, à paillettes et grelots, ces passages voutés qu’embaume l’encens des marchands.

Je me perds dans ce souk luxueux de style gothique flamboyant. Etourdi, je m’arrête devant la vitrine alléchante d’une librairie d’occasion, qui révèle discrètement la promesse de bonnes affaires. J’y pénètre. La première pièce est basse de plafond mais un escalier descend au sous-sol, rayon des livres pour enfants et des bandes dessinées. M’y attend un carton à dessins plein de planches originales toutes plus belles les unes que les autres. Mais les prix sont plus salés que ce à quoi je m’attendais. « Tout à un prix » me dis-je, avant de monter trois marches qui me conduisent au rayon voilage du Printemps.

Zut ! Je suis évidemment au dernier étage de ce Grand Magas. Il faut que je redescende car j’ai une chose urgente à faire. Mais laquelle ? A mesure que je parcourre les petites pièces décorées avec style, qui n’en finissent pas de s’enfiler les uns après les autres, sans qu’à aucun moment je n’aie le sentiment de descendre, à mesure que j’avance, donc, la panique me gagne. J’ai peur de ne pas faire une bonne affaire, de rater LE coussin en solde, de ne pas pouvoir payer, d’être soupçonné de vol.

Enfin, je me retrouve à l’air libre, sur cette place de terre battue ocre et jaune. Les commerçant sont installés derrière des paravents en moucharabieh, des toiles tendues sur leurs têtes, et des objets de brocante soigneusement mis en valeur sur des tables en bois à plateau de marbre et pieds de lion.

Je déambule au milieu des badauds mais la nuit tombe, et il faut encore que je retrouve le chemin du port. Les ors de la Sérénissime cédent la place à des rues étroites aux pavés luisants bordants des terrains vagues, quoique séparés d’eux par des palissades grillagées.

Je tourne dans ce quartier (je reconnais, c’est Rouen !) comme si j’arpentais un plan de ville géant, sensation étrange de me voir moi-même parcourir ces rues comme si je voyait les images d’un drone qui me filmerait en me suivant dans les airs.

L’air marin dispense des senteurs intenses, je suis grisé par cette promenade, sans peur d’être en retard. Peut-être même confiant à l’excès. Et enfin, un passage couvert à l’extrémité éblouissante débouche sur cette place somptueuse, vaste et close comme la cour carrée du Louvre, en plein Venise. Le quai, deux très longues marches en marbres qu’une onde immobile recouvre comme un drap de soie. L’horizon, un paysage à la Böcklin  aux couleurs fortement contrastées.

Mais surtout, un bateau parti sans moi.

A la caisse

C’est avec émotion que je découvre cette chaîne stéréo vintage à la caisse du magasin. La façade du lecteur de cassettes est faite d’un beau plastique marron, imitation chêne foncé.

Je pose mon sac sur le comptoir et en sors une cassette audio, que j’insère dans le lecteur. La caissière m’annonce un prix que je ne comprends pas. J’appuie sur les touches avance rapide, stop, lecture, stop, retour rapide, stop, lecture, pause, lecture puis stop. La caissière confirme que le paiement que je viens d’effectuer ainsi est validé et que je peux retirer ma cassette. J’enfonce la touche eject et la remets dans son boitier puis dans mon sac.

Je suis ému.

La présentation

Assis face à l’écran de l’ordinateur, dans la pénombre, il est tard et je dois finir de préparer le support pour la présentation de demain. J’éprouve un mélange de trac et d’exaltation.

Les couleurs sur l’écran sont vives, chatoyantes, les formes changeantes. Je passe d’une application à l’autre, fasciné, perdant de vue mon objectif initial. A intervalles réguliers je tente de lire l’heure en bas à droite de l’écran, mais elle refuse obstinément de s’afficher.

Peu à peu la fatigue m’engourdi alors que je me sens ravi, n’ayant pourtant pas terminé mon travail. Serein serait plus juste.

L’instant d’après je suis dans le train. J’y tiens conférence dans un salon rouge et curieusement ovale, comme si nous étions dans un ballon de rugby. L’assemblée est détendue, rieuse. N’était mon grand-père qui se tient au premier rang et me dit, profitant d’un moment de silence : « tu as oublié tes chaussures ». De fait, je suis pieds nus, et mes ongles sont longs, si longs !

C’est un choc pour l’assemblée qui se lève et prononce en coeur mon oraison funèbre : « il avait douze points sur son permis ».

Rideau.