Archives pour la catégorie Cauchemard

La gencive

La pièce est sombre et exiguë. Les couleurs sont fanées, j’hésite entre décoration des années soixante-dix et décor de toile de maître flamand.

Je tiens devant moi, dans la paume de ma main droite, mon crâne décharné quoiqu’encore chevelu. J’observe avec attention ma dentition et constate, horrifié, qu’une couche de tartre marron macule le haut des molaires.

Pour regarder de plus près, je retire cette partie, reste de gencive inclus, l’approche de la lumière qui vient de la fenêtre, et comprends instantanément d’où provient mon haleine fétide !

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Loto-route

Je savais bien qu’en prenant ce chemin on risquait d’être pris dans des bouchons.

Évidemment, on a tiré le bon numéro.

Des centaines de millions de voitures au pas comme une armée de chenilles processionnaires.

Et la pluie battante, continue. Aucune visibilité.

Pire qu’un cauchemar.

Ne pas marcher dedans

Pourquoi y a-t-il tant de chiens ici ? C’est un jardin public habituellement fréquenté par les vieux chats du quartier !

Marchant sur l’allée de graviers blancs, j’évite de poser le pied sur l’une des très nombreuses déjections qui émaillent l’allée. Heureusement, quelqu’un a pris soin de planter des mini-drapeaux suisses pour signaler chacune.

Les chiens vont et viennent en trotinnant, se reniflent, flairent et suivent des pistes qu’ils sont seuls à voir.

La première détonation me fait me jeter au sol, dans un réflexe de survie qui m’étonne : je devrais être abasourdi, stupéfié, statufié même. Au lieu de quoi je me mets à ramper pour m’abriter sous l’un des hamacs publics, tandis que le souffle d’autres explosions me parvient en rafales.

Les drapeaux suisses ne me détournent pas de mon objectif, et c’est couvert de merde que je parviens à me mettre à couvert.

Une pluie fine et chaude se met à tomber. Elle me nettoie lentement, mais à mesure que l’odeur nauséabonde disparait, je sens celle du napalm. Et je sais que je vais mourir, ici et maintenant.

C’est trop con.

Monopoly™©®

Quand je sors du lit, la chambre où je me trouve est éclairée par une lumière jaune et crue. C’est une chambre d’enfant, mais pas de celles que j’ai connu.

Il n’y a pas de porte. Un des murs se poursuit en couloir vers… Je ne sais. Un salon j’imagine. Toute la pièce est couverte de billets de Monopoly. Cela évoque des motifs psychédéliques multicolores et répétitifs, tout autant que des panneaux d’affichage public chargés d’annonces déchirées.

Ce décor uniforme me donne la migraine. Je prends la direction de l’autre pièce, obligé de m’appuyer de la main sur le mur pour me guider. Autour de moi, tout, absolument tout du sol au plafond, est couvert de ces maudits billets. A tel point qu’il devient impossible de se repérer. Je sue abondamment, et appelle à l’aide, doucement d’abord, puis crescendo pour finir par hurler « Mamaaaaaaaan ! ».

Au matin la migraine ne m’a pas quittée. 

La Joconde

Je marche dans un pré d’herbes hautes, jaunies par le soleil brûlant d’été. A mes côtés, la Joconde me parle de son dernier voyage en Espagne, et des pistoleros qui lui ont sauvé la vie alors qu’elle mendiait sur un trottoir de Dubrovnic.

Je ne comprends pas où elle veut en venir, jusqu’au moment où elle me prend la main et l’observe de son regard énigmatique. « Ta ligne de vie est pure » me dit-elle.

Je regarde cette main à six doigts, admiratif. La Joconde remet sa capuche sur la tête. Son visage disparait et, prenant sa faux, elle me tranche la main.

Je me réveille en sursaut, pleurant presque.

Les gendarmes

Dans la cour de l’école, il y a plusieurs marronniers. Au pied des troncs, le sol de bitume noir est déformé par les racines qui constituent ainsi un paysage vallonné où se promènent des gendarmes rouges et noirs.

Je m’agenouille et pose mon doigt sur le parcours de l’un d’entre-eux. Il grimpe dessus, poursuit sa route sur le dos de ma main, puis se met à sauter sur mon avant bras, comme une puce. C’est assez drôle au début de le voir monter jusqu’à l’épaule puis redescendre. Enfin, jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’il laisse à chaque passage un petit bouton sur ma peau.

Un autre gendarme sauteur, puis un autre, et un autre encore suivent ses traces sur mon bras nu. Les petits boutons prennent à chacun de leur passage un peu plus de hauteur, devenant de grosses bosses, puis formant des tiges vertes épaisses et évasées à leur base. Quoi ?! Mais ce sont des tiges de marronnier que ces insectes font pousser ! Pris d’épouvante, j’en retire une, qui me laisse un cratère dans la peau et qui surtout (horreur absolue !), repousse aussitôt.

Je me débats pour chasser les gendarmes et arracher les tiges, encore et encore. Au secouuuurs !

Menace de mort

Je pénètre dans ce grand appartement bourgeois parisien par un escalier de service. Quatre ou cinq pièces en enfilade, émaillées de cartons. Tout au fond, la lumière du crépuscule inonde un lustre en forme de bouquet, typique du mauvais goût des années quatre-vingt.

Nois nous trouvons dans la deuxième pièce, l’entrée, avec sa table en formica blanc. Dessus les restes d’un repas. Plusieurs personnes autour, debout, penchées en avant tels des généraux au dessus du plan de bataille.

Le téléphone bleu sonne. Je décroche le combiné et entends alors une voie rauque me menacer de mort. Je pense tout de suite au personnage incarné par Sergi López dans Harry, Un ami qui vous veut du bien. Avec une barbe noire semblable à celle de Che Gevara. Etrange et terrifiant de deviner le visage d’une voix menaçante.

Sur la table où est posé le téléphone, je saisis un marteau à manche court et large tête en acier, au moins cinq centimètres. Suffisant pour assommer quelqu’un, à condition de le voir venir. Or, dans la foule où je viens de me téléporter, sur cette place qui semble sans limites, je suis vulnérable de toutes parts.

Je tourne la tête en tous sens, la vigilance tourne à la paranoïa. J’imagine ce fou furieux apparaître à chaque instant et me tuer d’une balle dans le coeur. Oppressé, je sens que j’étouffe.

Le réveil sonne.

Mars en ballon

Le feu est là, derrière, qui bruisse et lèche mon dos de ses multiples langues. C’est agréable cette chaleur sur la peau chair de poule.

Il est l’heure de partir. J’enfourche mon ballon de course, celui que j’ai gagné au dernier mondial. Je chevauche les toits de cette ville orientale, toits plats, rateaux d’antennes, cordes à linge, mobilettes, paraboles, toutes les nuances de rouge sont représentées, tiens, comme sur Mars, exactement comme sur Mars.

D’ailleurs, j’y suis, sur Mars. Rien de surprenant que ces couleurs, donc.

J’aballonne sur un terre-plein en terre battue. Un nuage de poussière s’envole et me fait tousser. Une vague odeur de tabac. Un bruit blanc qui se répète de loin en loin. Un silence de mort qui s’abat. M’oppressant.

Je fuis ce lieu à toutes jambes, essouflé, crachant, éructant d’antiques malédictions araméennes. La fin est proche, je le sens à l’odeur poivrée qui assaille mes sens et m’ennivre, je m’évanouis.

Réveil dans une salle blanche. Je suis attaché à une table. Un rotofil ronronne à mes oreilles. J’aperçois un déflateur neutronique juste avant que n’apparaisse le scalpel en céramique, blanc, neutre, menaçant, dans la main du Docteur Andreux, barbichette grise et lampe frontale, enserré dans sa ridicule blouse bleue d’ouvrier de la Mort.

Je me débat mais rien ne bouge. Je hurle mais pas un bruit ne sourd. S’il m’ouvre, le Docteur trouvera mon trésor ! Il me l’enlèvera ! Je serai moins qu’une  dépouille : une dépouille dépouillée. Autant dire une poule mouillée.

Le réveil sonne opportunément.

Speed Hermann

je suis perdu dans Hamburg. Il fait nuit. Sans doute crachine-t-il aussi. Le sol en tout cas est brillant de pluie et de lumières qui se reflètent. Tiens, comme dans les BD de Tardi.

Soudain ébloui, assis dans une rame du métro, je regarde le plan de la ligne, mais les noms des stations s’effacent dès que je tente de les déchiffrer. Heureusement, Hermann est là, debout à mes côtés. Il gesticule en tous sens pour me faire comprendre quelque chose qu’il est sans doute vital que je sache, mais rien ne perturbe cette confiance  absolue que j’ai en lui, qu’il me tirera de tous les mauvais pas.

Progressivement, l’angoisse qu’il affiche me gagne et j’ai soudain conscience qu’un grand danger me guette : la rame se retréci à vue d’oeil, déjà les autres passagers disparaissent, absorbés par les parois, les vitres, les sièges. Ma voisine d’en face, une grosse bavaroise dont je fixe les mi-bas à travers desquels surgissent des poils épais, se met à rouspeter en grognant. Il est question du retard que nous aurons, qui me semble dérisoire vu qu’on n’arrivera probablement pas à destination vivants.

C’est alors que je me lève et, qu’agrippant la barre de toute mes forces, je hurle « speeeeed, Hermann, speed ! ». Une toile d’araignée envahit aussitôt l’habitacle et stoppe le processus de rétrécissement du wagon. Un silence ouaté et inquiétant nous enrobe.

Je me réveille en sursaut.