Je flotte au dessus d’un champ de cadavres. Peaux fripées, membres squelettiques, regards vides, visages grimaçants.
Entre les morts poussent des herbes folles. Certains sont couverts de mousses d’un vert profond, et si épaisses qu’on voudrait s’allonger et s’endormir dessus.
Ce spectacle me laisse froid. Nulle compassion, nulle tristesse ne m’habite. Je les regarde comme on repense à des souvenirs digérés.
Me revoilà dans l’ascenceur qui monte sans fin. Chaque étage me laisse apercevoir une scène de vie ordinaire des morts du champ. Une petite vieille sert un thé à un jeune homme, trois enfants sautent sur des lits, une jeune femme lit un magazine assise en travers d’un fauteuil club, un magicien en bleu de travail fait de la soudure sur une table de cuisine, son chapeau penche dangereusement, un chien s’ebroue à côté de son maitre qui le traite de chameau…
Je suis las d’être le témoin malgré lui de ces vies anonymes, et je tire le frein à main. La cabine s’arrête brusquement et les lumières s’éteignent. L’obscurité totale vire au blanc éblouissant. Dans les deux cas, je me sens flotter dans le vide.
Je me sens profondément désabusé.