Prendre l’échelle qui dépasse de la voie d’égout pour descendre à la station de métro est fort peu commode. Mais nous sommes tous assujettis aux mêmes contraintes. Les femmes et les hommes qui me suivent ou me précédent ne s’en plaignent pas, eux.
Plus penible encore est de devoir attendre, suspendus par les bras au dernier barreau de l’échelle, que la rame du métro s’arrête sous nos pieds, pour pouvoir lacher prise et tomber assis sur un fauteuil. Une banquette plutôt, interminable, sur laquelle nous finissont tous les uns après les autres.
Ainsi alignés, nous sommes comme des poupées exposées sur un rayon de supermarché, tentant chacun un sourire ou un clin d’œil pour appâter le chaland.
C’est pénible de devoir attendre que nos parents viennent nous chercher. Mes frères et ma soeur cadette sont là, à mes côtés. Quelle bizarrerie de ne pas les avoir reconnus plus tôt ! R. , le benjamin, décide qu’il en a assez et se met debout sur la banquette. Il agrippe fermement les lanières de son cartable Tan’s au niveau de ses épaules et saute en criant : « les pois sont à l’heure ! ». Puis il disparait en faisant un grand plouf.
J’hésite. Devons-nous le suivre ? Ou attendre la prochaine station ? Plus la rame s’éloigne et plus l’angoisse m’étreint : retrouverons-nous jamais notre frère ?
Nous voici enfin sur le quai, en file indienne. Nous tournons nos visages alternativement à gauche puis à droite, à droite puis à gauche, changeant de sens à chaque pas. Comme un défilé militaire, chaque geste est précis, coorodonné avec celui de qui précède ou qui suit.
De part et d’autre du couloir, les affiches réfléchissent nos visages comme des miroirs convexes, déformants nos trognes d’écoliers. C’est une sensation gênante que d’être ainsi observé par son propre reflet au choix complètement étiré, ou tout-à-fait tassé.
Après la grande lumière blanche qui surgit du plafond, plus rien.