J’en ai gros sur la patate. Ce rendez-vous avec les Ressources Humaines, je l’attends avec impatience pour vider mon sac. Il a lieu près du distributeur automatique de boissons. Mon interlocuteur m’accueille avec un grand sourire bonhomme. Ses dents sont d’une blancheur éclatante et plus parfaitement arrangées que s’il portait un dentier. « Voyons voir ce que tu nous as apporté » me dit-il.
Je me débarasse de mon sac à dos, le pose sur la petite table haute ou nous sommes accoudés, et entreprends d’en vider le contenu méticuleusement. Il y a des melons, des bananes, des dates et de superbes coloquintes, que je dispose à la manière d’un tableau d’Archimboldo pour composer un visage de profil.
Tout naturellement, notre interlocuteur en fruits et légumes nous adresse la parole, nous remerciant de l’avoir convié à cette réunion. Autour de nous, des collaborateurs sont éberlués de voir notre Directeur en personne s’adresser ainsi à nous, sous cette forme grotesque qu’il incarne pourtant avec majesté.
« Vous êtes un bon élément » me dit-il. « C’est pourquoi vous devez partir. D’ailleurs, je vous somme de proposer vos compétences à nos concurrents. »
J’éprouve un malaise en entendant ces propos. Pourquoi ne pas me garder si je suis un bon élément ? Il poursuit : « je devine votre trouble. Mais rassurez-vous, un jour aussi vous serez un légume ». La foule éclate de rire et se disperse, hilare. Abasourdi, je prends sa joue-pomme et la croque. Le goût en est terriblement amer.