Le perroquet

Mon patron veut avoir raison. Il faut dire que ses arguments sont solides et qu’il en connait un rayon sur l’art de préparer des boulettes de papier. Je cherche à faire valoir deux ou trois techniques issues de ma pratique experte, puis cesse d’insister devant la manière catégorique qu’il a de revenir à ses propres techniques, érigées en modèle du genre. J’en tire un sentiment mélangé de colère – de n’avoir pas été entendu -, de dédain pour cette arrogance et de profonde absurdité car, au fond, je me fiche pas mal des boulettes de papier.

Cette mixture d’émotion cède la place à un profond malaise lorsque je constate que mon interlocuteur-chef n’est autre que mon père. Je voudrais partager son point de vue pour me rapprocher de lui, mais alors que je m’y emploie, la scène vacille ou plutôt tangue comme la proue d’un navire sur une mer agitée. L’explication de ce phénomène apparaît dans un flash angoissant lorsque je vois le bec orange qui trône à la place de mon nez. Je suis un perroquet, qui répète inlassablement ce que son père lui dit.

Perché sur ma balançoire, je vais et viens d’avant en arrière, encore et encore, et ce mouvement perpétuel et irrépressible me saoule comme un mal de mer. J’ai envie de vomir, de cracher ce profond dégoût de moi-même. Alors, les plumes de ma queue, puis de mes ailes, mes pattes crochues, tout mon corps sort par ma bouche, comme un gant qu’on ôte en le retournant. Enfin, mon bec se déroule et je me retrouve en face du perroquet que j’étais l’instant d’avant. Il est d’une beauté stupéfiante, mais également une source de grande déception. Ce n’est après tout qu’un perroquet commun. Je mesure la vanité qu’il y a à vouloir se mettre en valeur au mépris de soi-même, en répétant ce que l’on entend sans porter d’abord un regard critique sur les propos entendus et la situation qui les entoure.

La suite du rêve commence dans l’entrebâillement d’une porte qui communique entre un palier, sur lequel je me trouve, et une vaste pièce nue et mal éclairée par l’unique ampoule d’un plafonnier sans applique ni lustre.

Au fond de la pièce, une cheminée de marbre encadre un feu, ou plutôt une flamme faible et rougeoyante, qui diffuse pourtant une chaleur agréable. Des chuchotements bruissent des murs. Ce sont les échos lointains de toutes les conversations dont ce salon a été temoin. Malgré leur multitude, chacune me parvient distinctement. C’est comme se trouver dans la salle d’écoute des services secrets : je me sens détaché de ce que j’entends mais piqué tout de même d’une basse curiosité.

J’entends un grand fracas derrière moi et me sens projeté violemment dans la pièce. La porte après moi se referme en claquant. Ce qui n’était qu’un murmure se mue alors en un vacarme étourdissant. Les conversations se recouvrent et s’enrichissent d’esclandres, de cris et de menaces. Je  protège mes oreilles en posant mes mains dessus, mais les murs vibrent de plus en plus fort, comme le tambour de gigantesques haut-parleurs projettant des basses assourdissantes. Je crois devenir fou. Quoi ! Je voulais juste écouter, de loin, comme ça. Mais surtout pas être propulsé dans ce concert de vérités qui ne me regardent pas. Ma tête me fait mal. Atrocement.

Et je tombe en syncope.

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