M. et moi sommes assis à califourchon sur la moto ailée. Nous filons droit dans la tiédeur des nuages de dentelle de soie. Le diner va refroidir, il ne faut pas trainer.
Sortie de nuage. « On plonge ? » Me demande-t-elle. Hop, je souffle à droite et nous voilà descendant en un large cercle concentrique. Au dessous, des champs à perte de vue.
« – Que cultive-t-on ici ? » demandé-je.
– des cheveux » répond M. « Et de la meilleure qualité » ajoute-t-elle. Me voilà fixé. C’est donc de là que viennent les cheveux ! C’est la découverte la plus extravagante qu’il m’ait été donné de faire.
Interdit, j’ôte ma casquette et m’essuie le front du dos de la main. C’est lisse. Parce que je n’ai plus de cheveux ! En ai-je d’ailleurs jamais eu ? Quelle occasion extraordinaire : il suffit d’aller en cueillir d’autres !
M. rechigne : « c’est du vol, on pourrait te raser pour ça ». Vrai, mais qu’importe, j’ai toujours rêvé d’être roux. Ce champ là-bas, vers la gauche ! C’est un champ de cheveux roux frisottés. Exactement ce qu’il me faut. La moto bat des ailes à toutes forces tandis qu’elle se pose et provoque ce faisant un vent de tous les diables, qui a pour effet de battre les touffes de cheveux les unes contre les autres, et de les emmêler inextricablement.
« Arrête ! » je hurle « Arrête ou ils seront fichus ». La moto se cabre et s’éloigne, laissant un champs de cheveux roux dévasté, plein de noeuds minuscules, comme un champ de blé transformé en plat de spaghettis.
La tristesse m’envahit et je voudrais pleurer mais M. pose sa main sur mon cou et me dit d’une voix douce de ne pas m’en faire (quoi ? Des cheveux blancs ?), qu’on essaiera plus loin dans un autre champs de cheveux chatains épais : « ils sont plus facile à coiffer, c’est mieux » dit-elle pour me consoler.
Mais ma déception est si forte, ma colère si intense que je décide de retenter ma chance et, me retournant brusquement, je chute de la moto.
Tandis que je tombe, M. me regarde avec tendresse.
Je m’éveille courbatu.