« Il faut sauter par la fenêtre pour devenir un caillou » me déclare celui qui a l’apparence de mon père, en réalité un prestataire intérieur enturbanné. Pourquoi me dire cela ? Je suis perplexe : ai-je demandé comment on devient un caillou ?
Ce n’est pas grave, semble me dire mon mystérieux interlocuteur. Et d’une pichenette, il fait disparaitre le sommet de son crâne, un peu comme on fait tomber le chapeau d’un oeuf à la coque. C’est très effrayant et pourtant je reste là à regarder la partie visible de son cerveau qui est, ben justement, un caillou. « Je pense comme Pierre », dit-il avec un air fat.
Je me retourne pour prendre l’ascenceur. C’est la seule chose sensée à faire en cet instant : il faut monter prévenir les secours que Magellan (c’est le vrai nom de mon interlocuteur, je m’en souviens soudainement !) a un pet au casque à cause d’un accident.
La porte s’ouvre, je pénètre dans la cabine aussi longue qu’un couloir et m’assieds sur la cuvette des WC fixée à la paroi de droite. La porte se ferme et l’ascenseur s’élève dans un bruit de froissement, celui du vent dans le peuplier. Les parois de la cabine se mettent à trembler, puis vibrent de plus en plus bruyamment. « C’est parce que tu as peur de tomber en panne de papier » me dis-je pour me rassurer.
L’ascenceur s’arrête brusquement, les lumières s’éteignent et la porte s’ouvre sur un escalier en colimaçon qui descend trés raide. Un escalier en pierre, comme dans les châteaux forts. J’ai à peine descendu quelques marches que deux monstres hideux, bâtards manqués de Jabba le Hutt et Sophie la girafe, me bloquent le passage et me réclament mes papiers avec un fort accent allemand, ce qui donne à peu près « Pas Pierre, bitte ». Je suis pris d’un accès de panique car, si je sais avec certitude que mes papiers sont dans la poche de ma veste, force est de constater que je l’ai perdue : je suis nu comme un ver. Honteux, je cache mon sexe avec mes mains et me recroqueville en position foetale. Ainsi, je me sens bien et me laisse glisser dans l’escalier dont les marches ont fait place à un tapis doux et lisse. Je prends de la vitesse. Je devrais avoir peur, vouloir freiner, m’arrêter même. Mais non, je veux tomber, de plus en plus vite, et rebondir, être balotté en tous sens. Je sais que je ne crains rien.
Car je suis un caillou.
Je m’éveille avant le choc.