J’ai quelques mois. Couché sur le dos, dans mon lit à barreaux, je regarde le plafond de ma chambre. Il fait noir. Le filet de lumière du couloir éclairant sous la porte apporte une touche de gris foncés aux formes environnantes : un mobile que je n’avais pas vu d’abord, le haut d’une armoire, les arrêtes du plafond.
Le temps passe lentement, à la manière de l’épaisse pâte à gâteau fraichement battue qui s’écoule paresseusement dans le moule. Imperceptiblement, les gris se polarisent pour recouvrir ce qui m’entoure d’une pellicule composée d’une multitude de petits carreaux noirs ou blancs. Les motifs s’estompent, les formes se courbent. Ma chambre devient une bulle bien ronde.
Je lève la main gauche, et mon pouce dressé envahit mon champ de vision, dilaté à disproportion. C’est une sensation étrange, de grande légèreté, comme si mon corps était gonflé d’hélium et flottait mollement à la manière des ballons de baudruche.
Cela se doit sans doute au fait que la bulle de ma chambre s’élève et dérive a présent dans le néant.
La lumière revient progressivement et je constate alors que je survole un paysage dont je ne sais s’il figure une carte d’orientation très réaliste, ou une photo satellite retouchée. Qu’importe ! Quel spectacle stupéfiant que ces collines, ces lignes de trains, ces arrêtes marquant les dénivelés, ces indications de sites remarquables ou de panoramas dignes d’intérêt ! Je ressens une émotion intense, la plénitude de la carte et du territoire enfin réconciliés.
Tout aussi imperceptiblement, le paysage rougeoit, de plus en plus, jusqu’à devenir uniformément rouge, indistinct. N’est-ce pas la surface de la bulle où je flotte qui s’opacifie ? Pourquoi ai-je cette sensation d’atterrir lentement et d’épingler le lieu que je survolais alors ?
L’instant d’après, je sais avec certitude que je suis prisonnier d’une de ces puces rouges en 3D, qui matérialise la position des personnes sur les cartes GPS : « Vous êtes ici ».
Certes, mais où ?