Casimir, le gentil monstre orange de l’Ile Aux Enfants, a le visage de Jean-Pierre Coffe. Il saute en tous sens, gesticule autour du plan de travail, en mélangeant tout un tas d’ingrédients bizarres dans un énorme saladier en plastique rose : de la farine, des malabars, des fioles contenant des liquides épais verts, violets ou bleus. Des feuilles de salade, des escargots en chocolat et pour finir, un soupçon de Viandox.
Assis au milieu d’un public jeune, dans le gradin des spectateurs du tournage de cette nouvelle émission culinaire je suis fasciné par cette figure de mon enfance.
Casimir-Coffe saute sur place, rumine bruyament en touillant sa préparation, tente des sourires forcés, puis demande haut et fort, avec cette truculence indignée qui le caractérise : « Alors !? Qui n’en veut goûter ma gloubiboulebouffe ? Personne, hein ?! ».
Gêné, je me détourne de ce démonstrateur perdu au milieu de ce grand espace, que je reconnais maintenant être le magasin Décathlon. Je me promène entre les linéaires en fouillis, qui évoquent les boutiques d’achat-vente de produits d’occasion comme Le Troc Dé B’ile, Happy-Crash ou Trash Converter. Les rayons sont plein de produits aussi hétéroclites qu’inutiles, qui ne retiennent pas mon intérêt.
Du moins jusqu’à ce que je tombe sur les vélos… Je farfouille et saisis une petite voiture coccinelle provenant d’un vieux manège. Elle est trop petite pour moi. Dommage ! J’ai tant besoin d’un moyen de transport économique pour me rendre au bureau. Derrière un grand vélo sont cachés des voitures à pédales, des karts à la façon des voitures de course des années 1950, ou encore des rosalies pour enfants, aussi colorées et ornementées que les cabanes de maharadja sur le dos des éléphants d’apparat.
Et là, soudainement, je vois ce vélo au cadre noir mat, léger comme le vent, et dont le pignon, étrangement, est fixé à la verticale, à l’avant sur le bas du cadre (sans doute un système révolutionnaire !). C’est un choc esthétique absolu. Mais il est vendu 273€. Je sais que je n’ai pas les moyens, ce serait un achat déraisonnable, et j’entreprends d’appeler M. pour obtenir son consentement.
J’ignore si j’ai échangé par téléphone. Je soulève la housse qui ne recouvrait pas le vélo quelques instants plus tôt, et découvre que celui-ci abrite une petite bibliothèque, contenant des BD et des romans jeunesse des années quatre-vingt. Je rabats la housse et me dit qu’en négociant 40€ – et à condition de revendre les livres -, le vélo serait une excellente affaire. Je sais pourtant au fond de moi que ces BD ne valent rien et que je ne réussirai jamais à les vendre.
Finalement, je m’éloigne du rayon à regrets.